2010, usus/usures

Un édifice, avec tout l’aménagement qu’il contient, est d’abord un outil. Les utilisateurs l’occupent, l’utilisent, en usent et en abusent. Lors de la phase de conception, l’architecte ou le designer détient un pouvoir régulateur dans la mise en scène des interactions. Il ou elle doit anticiper l'utilisation, la rendre possible.
Usus/usure fait référence à ces deux temps consécutifs : celui, usus, du rapport qu’entretiennent les usagers avec les infrastructures dont ils se servent, au point de former une paire avec elles ; celui, usure, des traces matérielles laissées par cet usage, de la réponse permanente que donne l’objet à la façon dont il a été employé. Les indices d’usure sont en quelque sorte les notes de bas de page du texte de l’usage, de l’usus.
Considérons, par exemple, un quai de gare. Les voyageurs en attente participent à la composition de l’espace d’usage. Les marques de pieds sur les murs, ensuite, en tant que traces permanentes, rendront compte des particularités de cet usus, telles les zones d’attentes favorites. L’usure du seuil d’une vieille église, autre exemple, indique son degré de fréquentation. Dans ce cas-ci, au-delà de cette valeur d’indice, l’usure et le polissage du seuil participent à l’attrait de l’édifice entier. Les indices d’usure peuvent donc être appréciés en tant que détails porteurs de sens. Ils sont aussi les indicateurs d’une qualité de travail, en premier lieu de la part des concepteurs qui, avec succès, ont anticipé et exploité la matérialité d’un usage. Tout aussi souvent, cependant, ces griffes, patines et coins ébréchés viennent brouiller la compréhension et l’appréciation du projet par l’usager. L'usure montre alors les déboires d’une architecture qui a de la peine à recevoir, de manière durable, les usages pour lesquels elle avait été conçue.
La thématique de notre intervention est précisément cette zone difficile à définir, où le réconfort d’une trace d’usus bascule dans l’inconfort d’une usure, et vice-versa. L’accent est porté sur la multitude des traces matérielles laissées par les utilisateurs et sur la façon dont celles-ci sont perçues. Le postulat du projet est l’idée selon laquelle le refus total de la trace d’usure dans la réalisation d’infrastructures, par l’usage de matériaux réputés non dégradables ou par d’autres moyens, est un combat perdu à l’avance.
A terme donc, l’immaculé trahit une absence d’usage.